L'écrivaine et journaliste culturelle, Mansoura Ezzeddine, anime tout
un monde allégorique dans ses oeuvres. Les fantômes de son village y côtoient
des personnages contemporains qui peuvent nous parler du Printemps arabe, mais
aussi de plein d'autres choses.
Rania Hassanein
16-03-2016
« Je suis une perfectionniste à
l’extrême. Je mélange faits réels et illusions, vérités et incertitudes. Un
esprit confus ». L’écrivain et journaliste Mansoura Ezzeddine se retrouve dans
cette description, issue de son roman, Waraa Al-Fardous (au-delà du paradis).
En fait, elle s’identifie à son héroïne, Salma. Un sentiment de perdition et de
peur la hantait depuis toute petite, ne sachant pas trop ce qu’elle allait
devenir à l’âge adulte. L’enfant née dans le Delta du Nil dans les années 1970
n’avait rien à voir avec l’auteure, traduite aujourd’hui en 12 langues, qui avance
aujourd’hui à pas sûrs et qui est parvenue à se faire un nom dans le monde
littéraire, avant ses 40 ans. Cela, en signant trois romans et deux recueils de
nouvelles, dont Waraa Al-Fardous (éditions Al-Aïn) présélectionné en 2010 par
le Booker arabe, et Gabal Al-Zomorrod (le mont des émeraudes), prix du meilleur
roman arabe en 2014, au Salon du livre à Sharjah (Emirats arabes unis).
« Le bon travail d’un écrivain
dépasse ses origines et lui permet de franchir de nouveaux horizons. Ainsi, il
gagne du terrain à l’étranger », souligne l’écrivain, précisant que son dernier
roman, Gabal Al-Zomorrod, est en cours de traduction chez l’éditeur français
Actes Sud.
Cette confiance en soi, elle l’a
acquise au fil des ans, en plongeant dans l’écriture de fiction. Son seul moyen
d’affronter ses faiblesses et ses peurs a toujours été l’écriture. « En
écrivant, je me trouve face à mes angoisses. J’essaye de les comprendre, et
par la suite, de les affronter », avoue Ezzeddine, qui a souvent choisi
d’écrire sur le passé, rarement sur le présent. Elle a besoin de prendre
distance pour mieux se positionner par rapport aux événements sociopolitiques,
en Egypte ou dans le monde arabe. Epris par les contes des Mille et une nuits,
elle a décidé, au lendemain de la révolution de janvier 2011, d’inventer une
histoire qui s’en inspire avec ses propres héros. Et ce fut alors Le Mont des
émeraudes, parlant de l’Egypte actuelle et de la conjoncture arabe par le biais
de deux protagonistes femmes contemporaines. L’ensemble se situe dans un cadre
plus ou moins fantasmagorique, proche de l’ambiance des Mille et une nuits. «
En relisant attentivement ces contes, j’ai découvert le pouvoir de ces
anecdotes quant à sauver la vie des héros légendaires et affronter les
pouvoirs absolus et tyranniques des régimes de l’époque. J’ai conçu mon
oeuvre de la même manière », indique Mansoura Ezzeddine, ajoutant qu’elle a
quand même évité les digressions de cette oeuvre colossale.
Une fois de plus, l’écriture lui
permet d’affronter sa peur et de surmonter la perturbation due aux
événements du Printemps arabe. Les textes un peu mystérieux, fabuleux, les
histoires de meurtre, de folie et de misère constituent ses outils pour
incarner l’état d’une société instable et mettre en relief sa propre vision des
choses. « L’écrivain doit être comme Alice aux pays des merveilles. Il doit
être capable d’assimiler tous les changements qui l’entourent afin de créer
une littérature dissemblable », explique Ezzeddine. Pour elle, « créer dans une
ambiance de terreur ne peut qu’avoir des répercussions négatives sur le pays.
L’écrivain doit être libre de donner son avis, d’analyser les faits avec recul,
sans être poursuivi par les nouveaux inquisiteurs qui intentent des procès à
droite et à gauche ».
Sa naissance dans un village du
gouvernorat de Gharbiya a une grande influence sur son oeuvre. « Mon village
était tout petit mais très beau. Entourée de splendides arbres, notamment de
pruniers et de goyaviers, je me rendais à pied à l’école, dans un village voisin.
Je parcourais tous les jours le même chemin avec mes camarades de classe et je
savourais les belles couleurs et odeurs. Mon imagination vagabondait, en route
», se souvient Ezzeddine. « Vivre tout près du Nil faisait que toutes les
histoires de ma grand-mère et de mon grand-père sur les fantômes et les djinns
du fleuve me revenaient souvent à l’esprit », ajoute-t-elle.
Quelques années plus tard, l’on
retrouvera le reflet de ces histoires dans ses textes littéraires parlant
souvent de chimères, de tourmentes, de fantômes et d’hallucinations. On y
retrouve également le calme, le côté sombre du village, les cris de ses bêtes
et de ses oiseaux. Et l’on retrouve surtout le sentiment de la peur dont elle
n’arrive pas à se débarrasser jusqu’à présent. Ce sentiment a été accentué par
la perte de son père à l’âge de neuf ans. « J’ai été choquée par la cruauté du
destin. J’ai découvert depuis très tôt la fragilité de la vie qui peut
s’achever en un clin d’oeil. Je ne pouvais pas tolérer la mort de mon père,
j’inventais constamment des scénarios pour le ressusciter, pour le sentir à mes
côtés ».
Cette affliction a été compensée par
la présence de sa mère qui l’encourageait et la poussait à faire sortir ce
qu’elle a de mieux. C’est d’ailleurs sa mère qui lui a permis de s’installer
toute seule dans la capitale, à l’âge de 18 ans, après avoir obtenu le bac,
pour suivre des études de communication à l’Université du Caire. « J’étais la
seule fille du village à avoir opté pour vivre loin de sa famille. Même durant
les vacances d’été, je préférais rester au Caire pour des stages dans des
journaux et être proche des conférences littéraires et lieux de rencontre des
écrivains », assure-t-elle.
Petit à petit, elle a commencé à
découvrir ses talents de romancière. « Je lisais par hasard une nouvelle
publiée par une jeune Marocaine, dans une revue littéraire, rédigée à Londres.
J’ai trouvé que je pouvais faire mieux et je me suis mise à l’écriture ».
Mansoura Ezzeddine a tout d’abord rédigé une nouvelle et l’a envoyée au
courrier des lecteurs de la revue Ibdaa, dont le rédacteur en chef était alors
le poète Ahmad Abdel-Moati Hégazi. « Une belle surprise : elle a été publiée
tout de suite à la prochaine livraison. Très bien accueillie par les lecteurs,
je leur ai envoyé d’autres qui étaient également publiées dans la même rubrique
».
A l’époque, Mansoura Ezzeddine,
encore étudiante à l’Université du Caire, avait peur de prendre sa carrière
d’écrivain au sérieux. « J’ai beaucoup lu et je savais que j’étais à mes débuts
et que mes écrits n’étaient pas à la hauteur espérée », dit-elle. Mais tout de
même, l’un de ses collègues, Ahmad Hamed, l’a incitée à se présenter au
concours annuel de l’université, avec une nouvelle intitulée Laqta (prise de
vue). Encore une fois, à sa plus grande surprise, elle fut sélectionnée pour le
grand prix et a acquis une plus grande confiance en son talent.
Le destin lui préparait ensuite un
autre bel événement, à savoir la rencontre avec son écrivain préféré : Mohamad
Al-Bossati. En effectuant un entretien pour la revue La Voix de l’université,
l’étudiante de journalisme a échangé ses oeuvres avec son romancier favori. «
Etonné que malgré mon jeune âge, j’avais lu toutes ses oeuvres, Al-Bossati m’a
demandé de lire les miens. Au départ, je lui ai répondu que je n’en avais pas,
mais il a insisté, alors j’ai dû révélé mon côté écrivain en herbe ». Ayant
apprécié mon travail, il a envoyé l’une de mes nouvelles à l’écrivain Ibrahim
Aslan, responsable de la rubrique culturelle au journal londonien arabe
Al-Hayat.
Un virage pour la jeune écrivaine.
Car Aslan la présenta aussi à de nouvelles figures du monde littéraire, tels
les écrivains Bahaa Taher, Gamal Al-Ghitani et son épouse, la journaliste
Magda Al-Guindi. Cette dernière l’accepta en stagiaire à la revue Rose
Al-Youssef, puis Al-Ghitani l’invita à rejoindre son équipe d’Akhbar Al-Adab,
dont il a été le rédacteur en chef pendant plusieurs années.
C’est le début de toute une carrière
de journaliste littéraire qui s’annonce avec ces belles rencontres. Car
Mansoura Ezzeddine a gravi les échelons jusqu’à devenir, en 2014, rédacteur
en chef adjoint de l’hebdomadaire Akhbar Al-Adab et responsable de la rubrique
Livres au mensuel Bostan Al-Kotob (le jardin des livres). De quoi lui permettre
de plonger davantage dans son monde de prédilection, celui des livres et des
textes littéraires.
Son appétit pour la lecture né à
l’école était alors bien assouvi. Au départ, elle fut attirée par les romans
étrangers traduits vers l’arabe, découvrant ainsi Charles Dickens, Tolstoï et
Les Confessions de Jean- Jacques Rousseau. « Toute petite, je notais les titres
de livres qui m’intéressaient et j’allais les chercher à la grande Bibliothèque
de la ville voisine, Tanta. A force de lire de la littérature étrangère,
j’étais fascinée par ses héros, leur style de vie, ce qu’ils mangent, etc. ».
Et de plaisanter, avec un doux sourire sur les lèvres : « J’avais un professeur
d’arabe qui ne croyait pas que c’était moi qui rédigeais mes dissertations ; il
pensait que c’était mon frère aîné qui effectuait mes devoirs. Une terrible
injustice pour une enfant ». Les années s’écoulent et l’écrivain en herbe fait
ses preuves. Elle s’infiltre dans le monde des grands, écrit sur eux, sur leurs
oeuvres, devient elle-même une intellectuelle convoitée. En octobre 2009,
Ezzeddine est sélectionnée parmi 39 autres écrivains de moins de 39 ans pour
participer au Festival Hay et au Salon international du livre de Beyrouth,
afin de représenter la création littéraire arabe. L’écriture a bien réussi à
calmer ses angoisses.
via: Ahram Hebdo
No comments:
Post a Comment